Dans l’entreprise, chaque génération joue sa partition, mais la mélodie peine parfois à s’harmoniser. Les enjeux de pouvoir et autres biais sont autant d’obstacles au dialogue intergénérationnel qui dressent des murs entre les salariés d’âges différents, empêchant la rencontre et la mise en lumière des talents. Certains sont trop jeunes, sans expérience donc pas crédibles. D’autres sont là depuis trop longtemps, n’ont pas pris le train de la transfo, sont restés à quai. Bref, la défiance de certains jeunes vis à vis des plus anciens (et vice-versa) sont palpables.
Dans cette newsletter, je mets en lumière les raisons qui peuvent expliquer la défiance entre collègues d’âges différents.
Juger avant de comprendre, voilà le poison du dialogue. Les a priori, qu’ils viennent des plus âgés ou des plus jeunes, dressent des barrières infranchissables.
ex : « il est has been, il n’a rien à m’apprendre ! » ou « laissez la place aux jeunes !«
ex : « c’est pas un jeune qui va m’apprendre mon métier » ou « les jeunes veulent tout, tout de suite. Ils n’ont plus le goût de l’effort«
➡️ Bref, les avis sont tranchés et ne laissent pas beaucoup de chance à l’autre de démontrer le contraire. Des expériences malheureuses peut-être, des croyances populaires entretiennent ces jugements et freinent la curiosité. Et puis ces convictions sont si fortes !
Pris dans le tourbillon du quotidien, nous manquons souvent de moments pour simplement converser, écouter et apprendre les uns des autres.
ex : « Les jeunes d’aujourd’hui sont toujours pressés. À notre époque, nous prenions le temps de nous asseoir autour d’une tasse de café et de parler des projets en cours. Cela nous permettait de tisser des liens et de partager notre savoir. Maintenant, tout se fait à la hâte et on perd ce précieux contact humain. »
ex : »Les anciens à la boîte semblent toujours trop occupés pour discuter ou partager leur expérience. Ils sont peut-être pleins de savoir, mais à chaque fois qu’on essaye d’entamer une conversation, ils disent qu’ils n’ont pas le temps. On dirait qu’ils ne veulent pas s’adapter et faire de la place pour un échange réel ».
➡️ Ces verbatims mettent en lumière cette notion du temps disponible, où l’accélération du rythme et l’efficacité immédiate semblent l’emporter sur les interactions personnelles et le partage d’expériences. Ils soulignent aussi la frustration de certains jeunes qui perçoivent un manque de volonté ou de flexibilité de la part des collaborateurs plus âgés.
Le sens du travail, l’équilibre vie privée-vie professionnelle, les aspirations individuelles… Ces sujets sensibles peuvent créer des frictions entre les générations.
ex : « je vais pas me tuer au travail comme mes parents » – « mon boss ne croit pas que je bosse en télétravail » – « les jeunes ne travaillent plus comme avant » – « à mon époque, jamais je n’aurais osé faire ça«
ex : « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi certains seniors disent qu’ils sont plus impliqués et dévoués parce qu’ils font des heures sup. Pour moi, l’efficacité et l’équilibre vie pro/perso, c’est essentiel. Je veux réussir, mais pas au détriment de ma vie perso. Les temps ont changé, et je pense que l’entreprise doit aussi évoluer pour reconnaître que le bien-être est aussi important que les résultats. »
ex : « Quelques jeunes pensent que le travail est juste un moyen pour payer leurs loisirs. Ils ne semblent pas comprendre que pour atteindre des postes de responsabilité, il faut parfois sacrifier son temps personnel. Ils veulent bosser moins, mais avec les avantages et la reconnaissance qui prenaient des années à gagner à mon époque. »
➡️ Sans surprise, ces témoignages révèlent un écart significatif dans l’évolution de la perception du travail et de l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Cet écart peut générer des tensions. Chacun est dans sa vérité et peut ne pas concevoir qu’une autre réalité soit possible, acceptée voire appréciée. Pas question d’étouffer l’une ou l’autre. Mais bien de reconnaitre et de respecter les différences. Les uns vis à vis des autres. Et les comprendre. Tout est ici histoire de valeurs.
Langage formel ou informel, outils numériques ou échanges en face-à-face… La manière dont nous communiquons peut créer des malentendus et des frustrations.
ex : « ça me stresse quand mon boss me téléphone » – « je bosse mieux de la maison » – « je comprends rien à Slack » – « on peut faire cette réunion au bureau, qu’on se voit un peu ?«
ex : »Je ne sais pas pourquoi les plus vieux s’accrochent aux réunions en personne pour tout. Un message sur Slack et hop. Plus rapide et direct. Parfois, je reçois des e-mails si formels qu’on dirait des lettres du XIXe siècle. C’est inefficace, et ça crée vraiment un décalage avec la façon dont on travaille aujourd’hui.«
ex : »Avant, on aurait eu une bonne poignée de main et une conversation face à face. Mais aujourd’hui, ils pensent que tout peut être résolu par un échange de textos ou un email rapide. Ils perdent le sens des relations humaines et la nuance que vous ne pouvez obtenir que dans une vraie discussion. Et ne me lancez pas sur ces emojis et jargons qu’ils utilisent, c’est comme décrypter un code secret parfois.«
➡️ Sans surprise à nouveau, ces verbatims montrent bien que les attentes et les préférences en termes de communication peuvent varier considérablement selon l’expérience, la culture et l’âge d’un collaborateur. Cela nécessite de bien se comprendre mutuellement, d’accepter ses différences et s’adapter pour garantir un bon travail d’équipe.
Craindre d’être jugé, de ne pas être compris ou de déranger freine la prise de parole et l’établissement de liens authentiques.
ex : « pas la peine de me former, je suis déjà trop vieux » – « on a toujours fait comme ça, on ne va pas changer maintenant«
ex : « c’est le plus vieux alors je n’ose pas lui dire ce que je pense » – « j’ai peur de dire des bêtises, ils ont tous plus d’expériences que moi«
ex : « J’ai l’impression que si je demande à certains jeunes collègues comment utiliser la nouvelle plateforme numérique, ils me regarderont comme un dinosaure. Il y a toujours cette crainte qu’ils pensent que je suis dépassé et que je ne puisse pas suivre le rythme, alors parfois, je préfère me débrouiller seul plutôt que de risquer l’embarras »
➡️ Est-ce que je me répète si je commence ma phrase par « sans surprise » ?! Ces verbatims illustrent la force de la peur du jugement. Ils soulignent à nouveau l’importance d’un environnement de travail où la curiosité, l’entraide et l’apprentissage mutuel sont encouragés et valorisés. Et garantis.
La grande majorité des secteurs sont concernés. Que ce soient ceux de la santé, du tourisme, de l’énergie, de l’agriculture, des banques, de l’industrie. Tous sont confrontés à cette diversité générationnelle et surtout cette injonction à innover pour survivre et rester compétitif. Des excès de jeunisme peuvent mettre à mal les plus seniors, souvent et à tort, identifiés comme étant à la traine. Il y a aussi le sens de l’engagement, comme dans la santé, où certains seniors peuvent critiquer l’absence de vocation des plus jeunes.
En 2023, j’ai mené une étude sur 3 continents (8 pays) avec la Junior HEC pour sourcer les initiatives intergénérationnelles à forte valeur ajoutée. Elles sont aujourd’hui présentées dans la conférence « Osons le dialogue intergénérationnel !« . Que ce soit au Japon, en Finlande, au Canada ou aux USA, venez-vous inspirer !
Comme disait Coluche « Sur le chemin de la vie, tu trouveras des pierres. A toi d’en faire des murs ou des ponts« .
En conclusion, je dirai que le dialogue intergénérationnel n’est pas une simple question de tolérance, mais un levier de croissance et d’épanouissement pour tous. Je crois que la coopération intergénérationnelle est le ferment fertile d’une dynamique créative et performante.